Il est bon d'expliquer ce qui rendit si difficile le déchiffrage et la compréhension de la langue d'Eléa. C'est qu'en réalité, ce n'est pas une langue, mais deux: la langue féminine et la langue masculine, totalement différente l'une de l'autre dans leur syntaxe comme dans leur vocabulaire. Bien entendu les hommes et les femmes comprennent l'une et l'autre mais les hommes parlent la langue masculine, qui a son masculin et son féminin, et les femmes parlent la langue féminine, qui a son féminin et son masculin. Et dans l'écriture, c'est parfois la langue masculine, parfois la langue féminine qui sont employées selon l'heure ou la saison où se passe l'action, selon la couleur, la température, l'agitation ou le calme, selon la montagne ou la mer, etc. Et parfois les deux langues sont mêlées.
Il est difficile de donner un exemple de la différence entre la langue-lui et la langue-elle, puisque deux termes équivalent ne peuvent être traduit par le même mot. L'homme dirait « qu'il faudra sans épines », la femme dirait: « pétales du soleil couchant », et l'un et l'autre comprendraient qu'il s'agit de la rose.

La nuit des temps - Barjavel